Les différentes formes de la gratuité des transports en commun : un concept, plusieurs réalités
Quand on parle de « transports gratuits », on imagine souvent un monde où tout le monde monte dans le bus ou le tram sans payer, partout, tout le temps. Mais la réalité est bien plus nuancée ! Il n’existe pas une, mais plusieurs formes de gratuité, et chaque collectivité l’adapte à son contexte et à ses objectifs. C’est un peu comme un menu à la carte où chaque ville pioche ce qui lui semble le plus pertinent. En France, on est même un peu les champions en la matière, avec près de 45 réseaux proposant la gratuité totale en 2024. Des villes comme Montpellier, Dunkerque ou encore Douai ont franchi le pas, suivant les traces de pionnières comme Compiègne, qui a instauré cette mesure dès 1975 ! Mais l’idée a aussi séduit à l’étranger : le Luxembourg a rendu tous ses transports publics gratuits à l’échelle nationale, et des villes comme Tallinn en Estonie ou Kansas City aux États-Unis ont également sauté le pas. Cette diversité montre bien que la gratuité n’est pas un dogme, mais un outil politique qui gagne en popularité, notamment depuis le coup de projecteur médiatique sur l’expérience de Dunkerque en 2018.
Pour y voir plus clair, l’Observatoire des villes du transport gratuit a défini plusieurs grandes catégories. Comprendre ces distinctions est essentiel pour analyser les impacts de chaque politique. Certaines villes optent pour une approche ciblée, tandis que d’autres choisissent une solution radicale. Ce choix dépend souvent du budget, de la taille du réseau et des ambitions politiques des élus locaux. La vague de propositions lors des élections municipales de 2020 a montré que le sujet est devenu un marqueur politique fort, principalement porté par des listes de gauche, écologistes ou citoyennes, même si dans les faits, des élus de droite et du centre l’ont aussi mise en place.
- 🚌 La gratuité totale : C’est la formule la plus connue. Tous les usagers, sans aucune condition, peuvent utiliser les services de transport réguliers gratuitement sur tout le territoire de la collectivité. C’est le cas à Montpellier pour ses habitants depuis fin 2023.
- 🧑🎓 La gratuité par catégories d’âge : Très répandue, cette mesure vise souvent les jeunes pour favoriser leur autonomie et alléger le budget des familles. Les seuils varient beaucoup, allant de la gratuité jusqu’à 18 ans (comme à Lille ou Strasbourg) voire 25 ans dans certains cas.
- 🎉 La gratuité le week-end : C’est une option choisie par des agglomérations comme Nantes, Rouen ou Amiens. L’objectif est souvent de redynamiser les centres-villes en incitant aux sorties et au shopping le samedi et le dimanche, tout en limitant la congestion automobile.
Comparaison des modèles de gratuité dans différentes villes
Chaque ville qui adopte la gratuité écrit sa propre histoire. Les motivations et les résultats peuvent être très différents d’un territoire à l’autre. Le contexte local, comme la densité de population, l’état du réseau existant et la culture de la mobilité, joue un rôle crucial dans le succès de la mesure. Il est donc difficile de tirer une conclusion unique, mais comparer les approches permet de mieux saisir les enjeux.
| Ville / Territoire | Type de gratuité 🗺️ | Population concernée (approx.) | Année de mise en place |
|---|---|---|---|
| Dunkerque | Totale pour tous | 193 000 habitants | 2018 |
| Montpellier | Totale pour les résidents | 481 000 habitants | 2023 |
| Nantes | Le week-end | 665 000 habitants | 2021 |
| Luxembourg | Totale pour tous (pays entier) | 645 000 habitants | 2020 |
Gratuité des transports : une solution miracle pour le pouvoir d’achat et la planète ?

Les partisans de la gratuité la présentent souvent comme une mesure phare, capable de répondre simultanément à deux des plus grands défis de notre époque : la justice sociale et la transition écologique. Sur le papier, l’idée est séduisante. Pour des élus comme Mickaël Delafosse à Montpellier, c’est une « puissante mesure de justice sociale et écologique ». L’argument principal est simple : redonner du pouvoir d’achat aux ménages, en particulier les plus modestes. Quand on sait que les déplacements peuvent représenter jusqu’à 13,5% du budget d’une famille, supprimer le coût de l’abonnement ou du ticket de bus n’est pas anodin. C’est un gain direct et concret qui peut faire la différence à la fin du mois. C’est ce que mettait en avant Patrice Vergriete à Dunkerque, en insistant sur le fait que la route, elle, est financée par l’impôt et utilisée « gratuitement » par les automobilistes. La gratuité des transports en commun viendrait donc rééquilibrer la balance.
Au-delà de l’aspect social, l’objectif environnemental est omniprésent dans les discours les plus récents. L’idée est d’inciter les automobilistes à laisser leur voiture au garage. Dans une ville comme Dunkerque, très marquée par la culture de l’automobile, la gratuité a été pensée pour briser ce « réflexe voiture ». En rendant le bus non seulement plus économique mais aussi plus simple d’accès (plus besoin de chercher de la monnaie ou d’acheter un ticket), on espère le rendre plus attractif. C’est une manière de le remettre sur la carte mentale des habitants comme une option de déplacement crédible et pratique. Cette mesure peut aussi servir de « contrepartie » pour faire accepter plus facilement des politiques de réduction de la place de la voiture, qui sont souvent impopulaires : suppression de places de stationnement, limitation à 30 km/h, piétonnisation… En offrant une alternative gratuite et efficace, les élus peuvent plus facilement justifier des contraintes sur l’usage de la voiture.
- ✅ Pouvoir d’achat : Réduire une dépense contrainte pour de nombreux ménages.
- 🌍 Réduction de la voiture : Inciter au report modal pour diminuer la pollution de l’air, le bruit et les émissions de CO2.
- 🏙️ Redynamisation des centres-villes : Faciliter l’accès aux commerces et aux loisirs sans se soucier du coût ou du stationnement.
- 🔄 Optimisation de l’investissement public : Remplir des bus qui circulent souvent à moitié vides et rentabiliser une infrastructure existante.
Quels sont les arguments des opposants à la gratuité des transports ?
Cependant, la gratuité est loin de faire l’unanimité, surtout chez les professionnels du secteur des transports. Beaucoup la qualifient de « fausse bonne idée ». Leurs critiques s’articulent autour de plusieurs points clés. Premièrement, ils craignent que la gratuité ne pénalise les modes de transport les plus vertueux. Des chercheurs comme Frédéric Héran estiment que les premiers à abandonner leur mode de déplacement pour le bus gratuit ne sont pas les automobilistes, mais… les marcheurs et les cyclistes. Pour un court trajet, la tentation de sauter dans un bus gratuit plutôt que de marcher ou pédaler peut être forte, ce qui serait un non-sens écologique et sanitaire. Deuxièmement, l’argument de la qualité de service revient sans cesse. La Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports (FNAUT) le résume bien : pour attirer les gens, il faut avant tout un réseau fiable, avec des fréquences élevées, de l’amplitude horaire et du confort. Or, en se privant des recettes de la billetterie, les collectivités risquent de ne plus avoir les moyens d’investir pour améliorer leur réseau. L’argent « perdu » dans la gratuité ne pourrait-il pas être mieux utilisé pour acheter de nouveaux bus, créer des lignes ou augmenter les passages ?
| Argument POUR la gratuité 👍 | Argument CONTRE la gratuité 👎 |
|---|---|
| Augmentation du pouvoir d’achat | Risque de cannibaliser la marche et le vélo |
| Incitation à abandonner la voiture | Les automobilistes seraient plus sensibles à la qualité de service qu’au prix |
| Simplification de l’accès au réseau | Perte de recettes qui freine les investissements futurs |
| Mesure de justice sociale forte | La tarification solidaire serait plus juste et moins coûteuse |
Le financement des transports gratuits : comment boucler le budget ?

L’une des questions qui fâche le plus est bien sûr celle de l’argent. Car non, les transports gratuits ne sont pas vraiment « gratuits ». Quelqu’un doit payer, et ce n’est simplement plus l’usager au moment où il monte dans le bus. En France, le financement des transports publics repose sur un trépied assez solide. Comprendre ce modèle est essentiel pour saisir pourquoi la gratuité est un défi immense pour une grande métropole mais un choix envisageable pour une ville moyenne. En moyenne, sur la période 2014-2022, les recettes commerciales (les tickets et abonnements) ne représentaient que 17% du budget total. C’est une part étonnamment faible ! La majorité du financement provient d’ailleurs.
La part de la billetterie varie énormément selon la taille du réseau. Pour les petites agglomérations de moins de 50 000 habitants, elle ne représente en moyenne que 14% des coûts. Pour les plus grands réseaux, comme Lyon ou Paris, elle peut grimper à 35%. On comprend tout de suite que renoncer à cette manne financière n’a pas le même impact partout. Pour une petite ville, le manque à gagner est relativement facile à compenser. Pour une métropole, cela représente des centaines de millions d’euros chaque année, soit l’équivalent de la construction d’une ligne de tram ! La solution la plus courante pour compenser cette perte est d’augmenter le « Versement Mobilité » (VM), cet impôt prélevé sur la masse salariale des entreprises de plus de 11 salariés, à condition de ne pas être déjà au taux maximum autorisé par la loi.
- 🎟️ Les recettes commerciales : C’est tout ce que paient directement les usagers. C’est la part qui disparaît avec la gratuité totale.
- 🏢 Le Versement Mobilité (VM) : C’est la source de financement principale (environ 52%). C’est un impôt payé par les entreprises locales pour financer la mobilité de leurs salariés.
- 🏛️ Les contributions publiques : Ce sont les subventions versées par la collectivité (commune, agglomération…) via le budget général, donc financées par les impôts locaux de tous les contribuables.
Quel est le coût réel par habitant ?
Le coût de la gratuité, ou plutôt le manque à gagner, peut être rapporté au nombre d’habitants pour mieux se rendre compte de l’effort financier que cela représente pour la collectivité. Les chiffres montrent des écarts spectaculaires. À Châteauroux, le coût net est très faible, de l’ordre de 4 euros par an et par habitant. À Dunkerque, on est déjà à 23 euros. Mais c’est à Montpellier que le saut est le plus important, avec un coût estimé entre 60 et 80 euros par habitant et par an. C’est un choix politique et budgétaire majeur. À titre de comparaison, passer à la gratuité coûterait environ 260 millions d’euros par an à Lyon et près de 3 milliards d’euros en Île-de-France. Ces chiffres rendent l’hypothèse d’une gratuité totale dans les très grandes métropoles quasi impossible sans une refonte complète du système de financement.
| Ville | Manque à gagner annuel (estimé) 💰 | Coût par habitant et par an (approx.) 🧍 |
|---|---|---|
| Châteauroux | 0,375 M€ | ~ 4 € |
| Niort | 1,5 M€ | ~ 12 € |
| Dunkerque | 4,5 M€ | ~ 23 € |
| Montpellier | 30 à 40 M€ | ~ 60 à 80 € |
L’impact mesurable de la gratuité : explosion de la fréquentation et report modal en question

C’est sans doute l’effet le plus spectaculaire et le moins contesté : là où elle est mise en place, la gratuité fait exploser la fréquentation des transports en commun. C’est une mesure qui, par sa simplicité et sa force symbolique, bénéficie d’une couverture médiatique énorme. Tout le monde en entend parler ! Contrairement à l’ajout d’une ligne de bus ou à l’augmentation des fréquences, qui passent souvent inaperçues, la gratuité marque les esprits. Les chiffres sont éloquents. À Châteauroux et Aubagne, la fréquentation a été multipliée par 2,5 en cinq ans. À Dunkerque, elle a bondi de 130% entre 2017 et 2022. Et cet effet est souvent immédiat, dès la première année, et ce même avant que l’offre de transport ne soit augmentée. C’est bien la preuve que le simple fait de supprimer la barrière du prix a un impact psychologique très fort.
Mais la vraie question, celle qui anime tous les débats, est de savoir d’où viennent ces nouveaux voyageurs. Est-ce que ce sont des automobilistes convaincus qui ont enfin lâché leur volant ? Ou des piétons qui ont troqué leurs baskets contre un siège de bus ? C’est ce qu’on appelle le « report modal ». Et là, les données sont plus rares et plus complexes à analyser. Pour le savoir, il faut mener de grandes enquêtes auprès des usagers. Les quelques études disponibles montrent un bilan contrasté. À Dunkerque, les résultats sont très encourageants : 48% des nouveaux trajets en bus se faisaient auparavant en voiture. C’est un vrai succès ! Cela a permis d’éviter environ 5 800 tonnes de CO₂ par an, soit une baisse de 3% des émissions liées à la mobilité sur le territoire. L’enquête a même montré que 5% des usagers se sont carrément séparés d’une voiture. À Châteauroux, les chiffres étaient un peu moins bons, avec 29% de report depuis la voiture conductrice. Le cas de Tallinn, en Estonie, est souvent cité par les détracteurs : si la part des transports en commun a bien augmenté au début, celle de la marche a chuté de 40%, et l’effet sur la voiture s’est estompé avec le temps.
- 📈 Dunkerque : Fréquentation en hausse de 130% en 5 ans. 48% des nouveaux usagers sont d’anciens automobilistes.
- 📉 Tallinn (Estonie) : Augmentation de la fréquentation de 14% la première année, mais un report modal important depuis la marche (-40%) et un effet qui s’est tassé par la suite.
- 📊 Châteauroux : 29% des nouveaux usagers viennent de la voiture (conducteurs), mais 23% viennent de la marche.
Analyse comparative du report modal
Le report modal est l’indicateur clé pour juger de la pertinence écologique de la gratuité. Si la mesure sert principalement à convertir des marcheurs en passagers de bus, son bilan carbone est négatif. Si elle parvient à sortir les gens de leur voiture individuelle, alors le pari est réussi. Le tableau ci-dessous synthétise les données disponibles pour quelques villes emblématiques, montrant bien que le contexte local est déterminant.
| Origine des nouveaux usagers | Châteauroux (France) 🇫🇷 | Dunkerque (France) 🇫🇷 | Tallinn (Estonie) 🇪🇪 |
|---|---|---|---|
| Voiture (conducteur/passager) | 51% | 48% | ~25% |
| Marche à pied | 23% | 21% | ~42% |
| Vélo / 2 roues | 12% | 11% | N/A |
Au-delà du ticket : quand la gratuité transforme la mobilité et la société
Réduire le débat sur la gratuité à un simple calcul de report modal et d’émissions de CO₂ serait une erreur. Ses effets sont bien plus profonds et touchent à des dimensions sociales et culturelles. Un des impacts les plus intéressants est le changement d’image du transport public. Le bus, souvent perçu comme le transport « des captifs » (ceux qui n’ont pas le choix : jeunes sans permis, personnes âgées, ménages sans voiture), devient soudainement un service universel, accessible à tous. Paradoxalement, la gratuité attire des publics plus aisés et des cadres qui ne prenaient jamais le bus auparavant. On passe d’un usage subi à un usage choisi. Cette mixité sociale accrue dans les transports contribue à en faire un véritable lieu de vie et de sociabilité. À Dunkerque, des études ont montré que le bus gratuit est devenu un outil contre l’isolement des seniors, leur offrant une mobilité retrouvée pour accéder à des activités et rencontrer d’autres personnes.
La gratuité agit aussi comme un filet de sécurité pour les personnes traversant des périodes difficiles. Une perte d’emploi, un divorce, une panne de voiture… ces « zones de turbulence » biographiques peuvent entraîner une perte de mobilité et un isolement. Le transport public gratuit garantit alors le maintien d’un droit fondamental : celui de se déplacer. De plus, elle peut avoir un effet structurant sur le long terme. Retarde-t-elle le passage du permis de conduire chez les jeunes ? Évite-t-elle à certains ménages l’achat d’une deuxième voiture ? Ces questions sont difficiles à quantifier, mais des enquêtes qualitatives à Dunkerque montrent que certains usagers ont progressivement abandonné la voiture, allant jusqu’à vendre leur véhicule. C’est là que la gratuité révèle son potentiel le plus puissant : non pas comme une mesure isolée, mais comme la première pièce d’un puzzle visant à repenser entièrement notre rapport à la mobilité. Elle ne peut être pleinement efficace que si elle s’intègre dans une stratégie globale qui inclut l’amélioration du réseau, le développement des pistes cyclables et, surtout, des mesures pour rendre l’usage de la voiture moins attractif.
- 🤔 Le coût de la mesure est-il soutenable ? Il faut évaluer si le manque à gagner peut être compensé sans sacrifier d’autres services publics essentiels.
- yatırım La capacité d’investissement est-elle préservée ? La gratuité ne doit pas empêcher d’améliorer l’offre (nouvelles lignes, meilleures fréquences), sinon elle atteint vite ses limites.
- 🛋️ Y a-t-il une « réserve de capacité » ? Les bus et trams sont-ils assez vides pour accueillir un afflux massif de nouveaux voyageurs sans être saturés ? C’est un critère essentiel.
Gratuité : la bonne solution pour quel type de ville ?
En fin de compte, la gratuité n’est ni un remède universel ni une hérésie. C’est un outil dont la pertinence dépend entièrement du contexte. Pour les grandes métropoles, où les réseaux sont déjà saturés et où les recettes de billetterie sont vitales pour financer des projets d’extension massifs (comme de nouvelles lignes de métro ou de tram), la gratuité totale semble être une impasse. L’effort financier serait colossal et empêcherait des investissements bien plus efficaces pour décarboner la mobilité. En revanche, pour les villes petites et moyennes, où les bus sont souvent peu remplis et où la billetterie ne représente qu’une infime partie du budget, la gratuité peut être une solution extrêmement pertinente. C’est une façon peu coûteuse de doubler la fréquentation, de rentabiliser une dépense publique et d’envoyer un signal politique fort en faveur d’une mobilité plus durable et solidaire.
| Type de réseau | Pertinence de la gratuité totale 💡 | Principaux arguments |
|---|---|---|
| Petits réseaux (< 100 000 hab.) | ✅ Très pertinente | Faible coût, forte réserve de capacité, effet de levier important sur la fréquentation. |
| Réseaux moyens (100 000 – 500 000 hab.) | 🟠 Pertinente sous conditions | Coût significatif mais gérable, nécessite une volonté politique forte et une stratégie globale. |
| Grands réseaux métropolitains (> 500 000 hab.) | ❌ Peu pertinente | Coût prohibitif, risque de saturation, perte de recettes indispensables pour l’investissement. |

